jeudi 27 novembre 2008

Flash back sur une ITW d'octobre 2006 sur le secteur du Luxe

Luxe, un secteur nommé désir

Avis d'experts, come back sur des ITW © Le nouvel Economiste - n°1360 - Du 5 au 11 octobre 2006....

Question 1. La démocratisation du luxe peut-elle tuer le luxe ?
Question 2. La suprématie de la France est-elle menacée ?

Tristan Benhaim,
vice-président de Cofremca Sociovision

« Il y a un paradoxe lorsque les marques de luxe quittent leur logique de niche pour partir à la conquête des élites nombreuses. »

1. Le marché de l’élévation de la personne se porte fort bien, il est porté par les stratégies de surclassement aux valeurs montantes d’individuation dans notre société. La recherche de sens émotionnel explique qu’aujourd’hui, le luxe de standing affiché, ostentatoire ait fait place à un luxe plus éprouvé. Ce qui explique que ce soit un segment en accroissement dans la consommation. S’y ajoute le rattrapage de nombreux pays ayant connu des privations. Aujourd’hui, même dans les pays aux revenus chahutés comme la France, le luxe est florissant.
Effectivement, il y a un paradoxe lorsque les marques de luxe quittent leur logique de niche pour partir à la conquête des élites nombreuses afin de se rendre accessibles à un plus grand nombre. Voilà pourquoi se développe, au côté d’un luxe d’exclusion basé sur la rareté, un « luxe inclusif » qui joue avec les signes d’appartenance. C’est le cas de Lacoste, la marque connue par trois jeunes sur quatre, qui joue le luxe accessible qui sait se nourrir de tradition et de modernité. Pour certaines marques, il s’agit d’un grand écart.

2. Longtemps le luxe fut d’essence aristocratique, sa légitimité était fondée par l’usage dans certaines cours et attachée à un monde de privilèges. C’est la grande tradition française, à l’ancienne. Aujourd’hui la concurrence vient de marques étrangères mobilisant de lourds investissements marketing pour imposer leurs marques, les Calvin Klein, Ralph Lauren et autres Dolce&Gabbana. Dans le même ordre d’idées, on a découvert que le meilleur restaurant du monde était à Barcelone. On voit bien qu’aux côtés des établissements de toute éternité interviennent désormais de nouveaux acteurs créatifs. Le luxe est devenu une subtile alchimie combinant de la création avec une marque et surtout une excellente distribution.


Pierre Bergé,
vice-président de Cofremca Sociovision

« Il n’y a plus qu’une seule maison de luxe à Paris, Hermès. »

1. Luxe et démocratisation sont totalement incompatibles, sinon il s’agit du Canada Dry du luxe lorsqu’il est accessible au plus grand nombre et proposé dans les supermarchés. D’ailleurs il n’y a plus qu’une seule maison de luxe à Paris, Hermès. Les autres ont des politiques de marques. Quand vous retrouvez leurs produits sur les portants des boutiques d’aéroport, on ne peut parler de luxe. Le luxe c’est un avion privé, un bateau, un voyage exceptionnel, c’est lié à la rareté. Je suis le premier à avoir fait descendre la mode dans la rue avec le prêt-à-porter Saint-Laurent. Ce n’était plus du luxe.
2. La place de la France est considérable dans l’univers des marques de mode. Mais le luxe est mort. Remplacé par la mode et ses fournisseurs. Je le dis sans nostalgie ni regret. C’est différent, voilà tout. Ce n’est pas une question de prix. Mais de « part de la main », comme chez Hermès, qui est l’une des dernières maisons françaises où elle a gardé son importance.


Alain-Dominique Perrin,
administrateur de Richemont

« Il est vulgaire de confondre ce qui est cher avec le luxe… »

1. Aujourd’hui, le grand phénomène, c’est la séparation de plus en plus nette entre le monde de la mode et celui du luxe. Le premier, très accessible, est fragile, éphémère, largement lié à l’apparence quand le second concerne des objets durables de grande qualité. Les jeunes ont tendance à faire l’amalgame entre ces deux mondes.. La chaîne Fashion TV y contribue aussi. Dans les années 70, j’ai rendu le luxe accessible grâce aux must de Cartier. Contrairement à Pierre Cardin, qui a bazardé sa marque en multipliant les licences – ce qui lui a permis de gagner beaucoup d’argent –, nous avions des réseaux de distribution spécifiques, et la création comme la conception étaient intégrées. Notion clé : un produit de luxe, évidemment de grande qualité, est lié au patrimoine personnel. Il est vulgaire de confondre ce qui est cher avec le luxe…

2. Les Italiens nous supplantent dans certains domaines, comme les accessoires ou la maroquinerie où ils sont très forts, avec des marques comme Gucci, Fendi, etc. La France perd donc des parts de marché. En outre, vous trouverez très peu de créateurs français, ils sont pour la plupart britanniques ou américains, notamment dans le domaine de la haute couture… Certainement en raison de leurs écoles formidables…


Gérard Mermet,
auteur de “Francoscopie”

« Le niveau de richesse dans les pays développés a énormément progressé. »

1. Contrairement à ce qui est admis, il n’existe pas de contradiction entre luxe et démocratisation. Si le luxe qualifie ce qui est raffiné et donc généralement coûteux, cela n’implique pas qu’il soit interdit par nature aux personnes modestes. D’autant que le niveau de richesse dans les pays développés comme le nôtre a énormément progressé : il fallait en moyenne 250 heures de travail à un salarié en 1980 pour s’offrir un téléviseur, objet de luxe à l’époque; il n’en faut plus que 40 aujourd’hui. La « démocratisation » s’explique par le fort affaiblissement du sentiment d’appartenance de classe, un désir croissant de « surclassement » et de « réenchantement » de la vie. Elle témoigne d’un besoin esthétique (le luxe est censé être beau), mais aussi d’un comportement mimétique; pourquoi n’aurait-on pas le droit de faire comme ceux qui sont montrés en exemple dans l’imagerie collective ? L’offre s’efforce de s’adapter à cette demande, en cassant certains codes traditionnels du luxe : cherté, rareté, difficulté d’accès. Ce n’est pas par souci égalitariste, mais pour assurer le développement des entreprises concernées. Je ne crois pas à un risque de tuer le luxe en le rendant plus accessible, dans la mesure où les produits concernés satisfont les attentes objectives et oniriques des clients . Comme le disait justement Coco Chanel, « le luxe n’est pas le contraire de la pauvreté, mais de la vulgarité ».

2. Je pense que le risque existe dans certains secteurs, pour au moins deux raisons. La première est que l’image de luxe d’une entreprise nationale n’est pas indépendante de celle de son pays d’origine, surtout lorsqu’elle mise dessus. Or, un certain nombre d’enquêtes montrent que l’image de la France est globalement dégradée dans le monde et que son association avec le luxe est moins nette, même si elle perdure. Par ailleurs, j’observe que certains intervenants n’ont pas suffisamment adapté leur offre aux évolutions des marchés. C’est le cas parfois dans la mode, la gastronomie ou le secteur viticole, qui n’ont pas toujours pris au sérieux la capacité de concurrence des autres pays, développés ou émergents. Ils ont ainsi renforcé le sentiment assez largement répandu d’une arrogance française et d’une difficulté à entrer dans la modernité.

Thierry Maillet,
consultant en marketing

« Le luxe est devenu un modèle de management. »

1. Comment concevoir que des produits exclusifs puissent s’adresser au plus grand nombre sans devenir vulgaires, pour reprendre le mot de Coco Chanel, « le luxe, ce n’est pas le contraire de la pauvreté, c’est le contraire de la vulgarité » ? Or, avant d’être un produit, le luxe représente une attitude et le partage de valeurs communes.
Le luxe est devenu un modèle de management au sein duquel se retrouvent aussi bien LVMH que BMW ou la banque UBS. Dans chaque secteur industriel, une ou plusieurs entreprises adoptent un management de luxe qui suit certaines règles communes. Le premier critère est la maîtrise de la chaîne de conception du produit depuis sa fabrication à sa distribution. Le second critère est la mise en place d’une organisation qui facilite la maîtrise de la chaîne du produit. Le siège concentre tous les pouvoirs, de la conception du produit à sa communication. Le marketing stratégique est centralisé à l’extrême en laissant aux pays le marketing opérationnel encadré par des règles d’application souvent très strictes.
Le dernier critère de ces entreprises est un reporting financier rigoureux, pour s’assurer que la chaîne de la commercialisation du produit ne puisse s’écarter d’une intégration verticale poussée. D’un produit ou d’une image, le luxe est devenu un modèle de management.


Danielle Allérès,
auteur de plusieurs livres sur le luxe dont « Luxe – métiers et management atypiques » (Economica), créatrice d’un DESS sur les métiers de l’art.

« La recherche de la plus grande qualité a toujours été la marque des sociétés civilisées. »

1. Depuis les années 70 les grandes maisons ont tenté de rendre le luxe accessible, de faire descendre dans la rue leurs produits, en multipliant leurs gammes. De nouvelles couches de consommateurs se sont approprié leurs marques. Ce qui les a obligés à les nourrir constamment en symbolique. C’est la mission des créateurs. Vuitton a ainsi très bien réussi à démultiplier ses productions par un management plus audacieux des articles proposés à une clientèle de plus en plus vaste. La satisfaction d’un nombre croissant d’amateurs passe par la déclinaison de séries limitées, les collections d’accessoires. La recherche de la plus grande qualité a toujours été la marque des sociétés civilisées. Celles-ci ont besoin de codes élitaires. En outre on remarque que systématiquement, en période de crise, les élites veulent s’en démarquer par un mode de consommation leur permettant de résister à cette environnement. Des années folles à la période 85/90 et ses golden boys, on observe une semblable débauche de luxe. Le capital d’une marque est immatériel, voilà pourquoi il ne connaît pas d’obsolescence : la courbe de vie d’un produit de luxe ne connaît pas de phase 4 et l’on peut relancer toutes les anciennes marques.

Aucun commentaire: