mardi 20 janvier 2009

Quel avenir pour le luxe ? selon François Laurent, Adetem


Vaste question, en une période où l’art de la prévision est devenu sujet à caution – n’oublions pas que la banque disposant des prévisionnistes les plus réputés s’appelait … Lehman Brothers !
Une vision optimiste pour le luxe pourrait être celle d’un avenir radieux, les riches préférant claquer leur argent chez Louis Vuitton ou chez Dolce & Gabbana que d’investir chez Madoff …
Plus sérieusement, pour pouvoir disserter sur l’avenir du luxe, encore faudrait-il que le luxe … existe !
Certes, il existe une industrie du luxe en France, tout comme il existe une industrie automobile ou une industrie aéronautique et spatiale ; d’ailleurs pour le Comité Colbert – qui regroupe "69 maisons de luxe françaises" –, luxe et aéronautique pèsent du même poids dans notre économie.
Par contre, impossible même pour le dit Comité, de préciser ce qui relève du luxe … ou pas : « Le consommateur, même s'il ne sait pas dire pourquoi avec précision et selon des critères objectifs, SAIT si une marque est de luxe ou pas !
Ce qui le réduira à définir l'industrie du luxe « comme un ensemble de marques » : l’industrie du luxe apparaît donc comme la seule industrie tautologique de l’histoire … et durera tant que durera cette tautologie !

Toutefois, cette délégation au consommateur – « le consommateur […] SAIT » – n’est pas sans risque :
- D’une part, ce dernier peut aisément et à tout moment exclure de la short list des marques dont l’existence ne tient qu’à ce positionnement ;
- D’autre part, ce n’est pas parce je sais qu’une marque se veut "de luxe" que pour autant je la considère comme telle … ou qu’elle ré-pond à ma propre définition du luxe !
Quand Leclerc clame : « Avec l’augmentation des prix des médicaments, soigner un rhume sera bientôt un luxe », il est légitime de se demander si, au delà de la simple figure de rhétorique, cette publicité ne rencontre pas une certaine réalité sociale.

La véritable question de l’avenir du luxe – et par voie de conséquence de l’industrie du luxe –, est celle de son contenu sémantique :
- Quelle est la signification du concept même de luxe aujourd’hui ?
- La proposition des industriels du luxe se situe-t-elle en adéquation avec cette conception ?
Si pour la majorité d’entre nous, luxe rime avec inaccessible – ou plutôt difficilement accessible –, une telle inaccessibilité n’est pas nécessaire-ment liée à l’argent ; ce que souligne Désire, qui soufre de la maladie de Crohn, dans son blog : « En fait, je constate que le vrai luxe dans une vie, c’est la santé ».
Le "vrai luxe" peut même se révéler totalement gratuit : « Et s'offrir le luxe, le temps que dure un café, de rien faire, de rien décider » ; bien souvent, le "vrai luxe" sera surtout un petit luxe, porteur de petit plaisir : "La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" de Philippe Delerm demeure d’actualité !
Le luxe se caractérise donc par sa rareté, sa presque inaccessibilité : le luxe, tel qu’il se lit au sein de la blogosphère – voir l’étude Le luxe n'est plus ce qu'il était ! publiée sur : Intelligence collective –, apparaît plus comme une expérience unique, extrêmement personnelle … et donc par là-même extrêmement rare et totalement inaccessible aux autres.

Le luxe se caractérise donc par sa rareté, sa presque inaccessibilité … et surtout pas par son prix : en ce sens, le marketing – et toute l’industrie du luxe – ont totalement dévoyé le luxe en le coupant définitivement de ses origines étymologiques.
Car dans "luxe", il y a bien "lux", lumière, brillant, gloire, ornement ; mais également son dérivé en bas latin : "luxus", débauche, excès, faste … Et à considérer les prix pratiqués dans les boutiques de luxe, force est de reconnaître que l’excès prime sur la lumière ou la gloire !
Un dévoiement qui s’explique aisément.
La qualité a toujours été synonyme de prix élevés : une malle Vuitton ne lâchait pas son propriétaire au beau milieu de l’Atlantique ; pas plus qu’une Mercédès ne plantait son conducteur au beau milieu de la cam-pagne – enfin, moins que la moyenne …
Aujourd’hui, une valise Samsonite protège autant, sinon mieux, vos effets, malgré la fougue de certains bagagistes d’aéroports ; quant à la bière grand cru millésimée de Carlsberg à 270 € la bouteille, procure-t-elle une sensation de fraîcheur réellement supérieure ?
L’équation "qualité élevée = prix élevé" ne présente plus la même perti-nence en une époque où la qualité globale de la production industrielle s’est considérablement améliorée : la qualité n’est plus réservée à une élite.
Les prix élevés, si !

Acquérir un objet que la majorité des Français ne pourra jamais se payer peut constituer une expérience tout aussi unique que personnelle … et donc un réel luxe !
Fonder dessus une industrie du luxe, suppose avérés – et ce, en permanence – deux postulats :
- Une réserve suffisante de clients : tant que le luxe demeurait artisanal, pas de soucis ; mais industrie, et même celle du luxe, rime avec lignes de production.
- Que le moteur financier, lui, ne cale pas … qu’en d’autres termes, l’expérience unique et personnelle ne passe pas par d’autres vec-teurs.
Le marketing adore le luxe … tous les marketers en rêvent : normal, luxe signifiant marges élevées ; je n’ai jamais rencontré d’étudiants proposant spontanément de traiter dans leurs exposés du marketing des produits low cost – voire plus prosaïquement de l’entrée de gamme !
Avec la crise économique, les consommateurs vont nécessairement revisiter leurs arbitrages financiers – et la consommation faiblit déjà. Le marché du luxe va certainement se tendre, redevenir un marché de niches.
Pas grave en soi … sauf que le marigot ne nourrira plus la même multitude de crocodiles affamés de marges élevées : le marché du luxe est celui de la facilité … intellectuelle en marketing ! Des générations qui ont appris à construire tous leurs plans à partir de la seule politique de prix !
Bien sûr, il y aura toujours des riches, il y aura toujours des oligarques russes et des princes saoudiens ! Bien sûr, il y aura toujours des privilé-giés – des vrais, ceux à parachutes dorés – en France et ailleurs : en restera-t-il assez pour toutes les marques de luxe ?
Les historiques et les autres ?
Le second postulat apparaît encore plus fragile.
Les années 1970 à 2000 furent en France celles de la possession et du paraître, comme le soulignera Baudrillard :
« On ne consomme jamais l'objet en soi (dans sa valeur d'usage) – on manipule toujours les objets (au sens large) comme signes qui vous dis-tinguent soit en vous affiliant à votre propre groupe pris comme référence idéale, soit en vous démarquant de votre groupe par référence à un groupe de statut supérieur ».
D’où l’émergence d’une nouvelle forme de communication publicitaire "identitaire", détournant le message du produit vers son possesseur : sé-miotiquement parlant, ce n’est plus l’objet qui se voit qualifier, mais son propriétaire.
Dans un tel contexte, la seule possession d’objets de luxe peut aisément s’assimiler à une expérience unique et personnelle : je m’épanouis en ac-quérant une montre Rolex, un sac à main Gucci, etc.
Aujourd’hui, une page sociétale se tourne, l’être l’emporte à nouveau sur l’avoir et le paraître : le Web 2.0 est passé par là.
Rédiger un papier sur mon blog constitue pour moi une expérience unique … impossible il y a dix ans ! Publier une vidéo sur un réseau social, pareillement, participer à un wiki, etc.
Bien sûr, tous les Français ne vont pas se muer en blogueurs, en acteurs du Web 2.0 : mais une page se tourne, et tous les Français ont réalisé que la seule possession d’objets ne constituait plus le luxe ultime … ou unique !
Une des avancées majeures du Web 2.0 n’est pas seulement d’avoir per-mis à des millions d’individus de par le monde d’accéder à un luxe qui leur était auparavant refusé : pouvoir s’exprimer – exprimer leurs passions – aux yeux de tous.
Non, elle est d’avoir apporté la preuve que l’on peut s’épanouir – et vivre des instants personnels inoubliables – autrement que par une dépense importante, exubérante.
Que le "vrai luxe", finalement, se situe ailleurs.
Le futur du "vrai luxe", je le vois comme la redécouverte des valeurs d’être et d’expression.
Celui de l’industrie du luxe, je le vois un peu moins bien.



François LAURENT

ConsumerInsight

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